Deux heures à peine après une conférence de presse où El Othmani s’est voulu rassurant, un premier cas de coronavirus a été confirmé au Maroc et l’édition 2020 du SIAM annulée. Quel crédit accorder au gouvernement actuel ?

Il est finalement là. Apparu début décembre 2019 en Chine, le coronavirus, ou Covid-19 de son nom scientifique, est donc arrivé au Maroc quelque trois mois plus tard. Le ministère de la Santé, par le biais d'un communiqué publié dans la soirée du 2 mars 2020, a révélé qu'un Marocain ayant récemment été en Italie -le département ne précise pas s'il s'agit d'un résident à plein temps ou simplement d’un touriste- s'était vu confirmer par les équipes de l'Institut Pasteur de Casablanca qu'il était porteur du virus. Ce qui, tout compte fait, n’est pas pour surprendre, sachant que la Botte se trouve actuellement être le principal foyer du virus en Europe.

En effet, le nombre de morts y a officiellement dépassé, le lundi 2 mars, la barre symbolique des cinquante morts -cinquante- deux, très exactement- selon un recensement officiel de la Protection civile du pays, pour plus de deux mille cas enregistrés depuis le 31 janvier. Mais de toute façon, il fallait bien que le virus finisse un jour par débarquer au Maroc, tant le Royaume demeure inséré dans les différents réseaux d’échange planétaires -une fermeture des frontières n’est bien évidemment pas à l’ordre du jour, tant ses conséquences seraient autrement néfastes-, et, in fine, ce n’était qu’une question de temps avant qu’il n’y parvienne: il faut à cet égard rappeler que plus du quart des pays du monde ont pour l’heure été touchés; portion appelée, comme on peut l’imaginer, à grandir encore.

Le virus débarque
Ce que peut faire le Maroc maintenant, c’est prier pour que l’orage passe au plus vite, car on s’attend à une résorption du virus à mesure que les beaux jours arrivent, dans la mesure où il est dit qu’il n’est pas très résistant à la chaleur -ce qui par ailleurs expliquerait sa quasi absence de l’Afrique en dépit d’échanges pourtant fort développés avec la Chine; le continent étant connu pour ses températures pas tout-à-fait clémentes dans plusieurs de ses parties. Mais aussi, bien sûr, il est question de prendre les mesures qui s’imposent en pareilles circonstances. Ainsi, le 1er mars, les autorités mettaient en place un comité de pilotage censé mettre en oeuvre ces mesures, dont on peut retenir «le report des manifestations sportives et culturelles programmées dans notre pays, l’annulation des rassemblements de masse et la gestion des voyages vers et en provenance des pays qui connaissent une propagation communautaire», comme le rapportait l’agence Maghreb arabe presse (MAP) dans une dépêche qu’elle a dédiée à ce comité. La première de ces mesures a d’ailleurs d’ores et déjà conduit à l’annulation de la quinzième édition du Salon international de l’agriculture au Maroc (SIAM), qui devait se tenir du 14 au 19 avril 2020 comme chaque année à Meknès.

Crise de communication
«Cette décision survient dans le cadre des mesures de sécurité liées à l’épidémie du Covid-19 et qui recommande la restriction des grandes manifestations et rassemblements de masse,» a-t-on justifié dans un communiqué conjoint du ministère de l'Agriculture et de l'Association du SIAM publié dans la foulée de l’officialisation du cas de l’Institut-Pasteur. D’autres manifestations devraient, bien évidemment, encore suivre. Mais autant on peut se féliciter de ces mesures et plus généralement de l’installation d’un comité de pilotage, qui sont la preuve d’un certain sérieux et d’une implication à l’avenant des pouvoirs publics pour parer à la crise engendrée par le coronavirus, autant la communication du gouvernement Saâd Eddine El Othmani a sans doute, à bien des égards, laissé à désirer.

Allant vite en besogne comme, l’on pourrait dire, à son habitude depuis son entrée en fonction en 2017, le cabinet n’a, en effet, pas vraiment été exemplaire sur ce plan, ce qui n’a pas manqué de le décrédibiliser chez une partie de l’opinion publique, quand bien même le nécessaire aurait été fait, et par effet de halo d'installer une certaine psychose au sein de la population. Ainsi, lors de la conférence de presse conjointe qu’il a donnée à Rabat le 2 mars avec son ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb, et ce quelques heures seulement avant que ne s’ébruite la nouvelle du premier cas, M. El Othmani mettait par trop l’accent sur l’absence de cas, notamment les vingt-sept cas suspects qui s’étaient tous révélés négatifs, comme si le Maroc pouvait vraiment rester éternellement prémuni, alors que scientifiquement parlant il s’agit d’une totale aberration. En outre, il assurait que «nous n’allons pas prendre des mesures exagérées»; ce à quoi donc faisait suite plus tard dans la journée l’annulation du SIAM de cette année.

Souvent moqué sur les réseaux sociaux pour sa propension à positiver même dans les situations les plus inextricables -notamment sa fameuse intervention vidéo appelant à changer de lunettes et à en mettre de nouvelles qui permettent de voir la vie en rose-, M. El Othmani a sans doute franchi, avec cette crise du coronavirus, un palier avec lequel il aurait dû sans doute se prendre autrement. Car ce n’est pas là la première fois qu’il se retrouve, pour le dire familièrement, à la ramasse. Homme intelligent, cultivé et intègre surtout comme en témoignent de nombreuses personnes qui l’ont connu et le connaissent dans le privé, le Chef du gouvernement renvoie devant les médias une personnalité totalement aux antipodes qui, progressivement, a grandement entamé sa popularité même au sein de son électorat.

Incompétence criante
Ainsi, d’aucuns au Parti de la justice et du développement (PJD) ne manquent plus d’appeler à sa démission, à commencer par son prédécesseur à la tête du parti islamiste et du gouvernement, Abdelilah Benkirane, qui vient d’ailleurs de revenir à la charge le 1er mars lors d’un meeting à Salé de la jeunesse de la formation, la Jeunesse de la justice et du développement (JJD) -certes de façon intéressée, mais qui n’en dit pas moins sur la désaffection envers le concerné.

Dès son premier dossier chaud à ses débuts, qui avait été le mouvement de protestation du Hirak ach-chaâbi d’Al Hoceima, M. El Othmani avait fait preuve de ce qu’on pourrait appeler, certes sévèrement, d’incompétence criante en ne prenant plusieurs semaines durant aucune initiative et en adoptant même des postures contradictoires au gré des vents, tantôt sanctionnant les accusations de séparatisme à l’encontre du mouvement lors d’une réunion -le 15 mai 2017- des partis de sa majorité au siège du ministère de l’Intérieur, tantôt se dédouanant complètement lors de sa première grande interview télévisée et rejetant ouvertement lesdites accusations -le 1er juillet 2017.

Il en fera de même lors des autres grandes crises sociales à Jerada, lors du fameux Hirak du tournant de l’année 2018, ou encore du boycott qu’ont essuyé les compagnies Afriquia, Centrale Danone et Sidi Ali au printemps. Tout comme il laissera son ministre de l’Education nationale, Saïd Amzazi, seul contre tous au moment de faire face aux manifestations des écoliers suite à la décision du gouvernement de maintenir, fin octobre 2018, l’heure d’été pendant la totalité de l’année. Même au plan international, les interlocuteurs du Maroc ont eu un avant-goût des errements de M. El Othmani en ce qui s’agit de la gestion de la chose publique, avec notamment son entrevue, en septembre 2018 en marge de la la 73ème session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), avec le premier vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Kosovo, Behgjet Pacolli, alors que le Maroc venait d’appuyer quelque deux semaines plus tôt l’intégrité territoriale de la Serbie -qui revendique la totalité des territoires kosovars-, ou encore plus récemment en se prononçant sur le Hirak algérien; prenant là le contre-pied de la réserve marocaine dont avait fait profession de foi le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita.

Vous avez dit majorité?
Cette façon, disons, personnelle d’incarner la fonction de Chef de gouvernement n’est, en outre, pas sans déteindre sur le fonctionnement de l’actuelle majorité dans son ensemble, qui semble totalement décousue et manquer d’une direction forte à même de l’amener à mettre en oeuvre l’ensemble de son programme édicté dans la charte conçue par l’ensemble de ses composantes. Peut-on d’ailleurs véritablement parler de majorité? On l’a vu notamment avec la controverse afférente au projet de loi criminalisant l’enrichissement illicite et qui, en l’état, devrait sans doute encore longtemps rester dans le pipe, tant l’opposition à son propos entre le PJD et les autres partis de sa coalition demeurent, pour l’heure, insurmontables. Il faudra, pour ainsi dire, effectuer un tir correctif, au risque de déprécier encore plus la politique qu’elle ne l’est déjà aux yeux des Marocains, et prêtent, par la même occasion, le flanc à un nihilisme de bien mauvais aloi pour toutes et tous...